Les jeux vidéos peuvent-ils aider à s’informer ?

Dans notre article précédent nous avons présenté les politicals games, des jeux vidéos dits engagés qui peuvent être décomposés en deux grands groupes : les jeux à visée informative et les jeux militants. Il s’agit d’aborder de manière plus approfondie un certain type de jeux que nous avions rapidement cité : les newsgames. Olivier Mauco, sur le site de France Culture, définit le newsgame comme « un dispositif ludique de mise en scène de l’information empruntant aux jeux vidéo ses codes cognitifs et procéduraux« .

Sur le fond le principe est identique à celui des jeux dits engagés. L’intérêt n’est pas la victoire mais réside dans la mécanique même du jeu (le gameplay) qui vous délivre un message : le joueur mis en difficulté essaiera de jouer avec l’ensemble des outils dont il dispose pour faire évoluer la situation et testera les différentes combinaisons permises pour s’en sortir. Sur la forme, les créateurs vont partir d’un fait d’actualité et placer le joueur au cœur des événements en se basant sur des données factuelles d’après le dossier, établi sous la direction de Xavier Galaup, intitulé « Développer la médiation documentaire numérique« . Le jeu Cutthorat Capitalism est cité en guise d’exemple. Il s’agit effectivement pour le joueur de partir d’un fait d’actualité qui le propulse à la tête d’un navire de pirates somaliens. Il s’agit d’amener le joueur, au travers d’une simulation, à comprendre les mécanismes de la capture et de la négociation.

Florent Maurin, sur France Culture, distingue trois grandes catégories de newsgames. Il expose dans un premier temps le jeu-infographie.

On a selon lui accès à de plus en plus à des bases de données (data journalism) que l’on peut traiter sous forme d’infographie interactive ou sous forme de jeux. Cela consiste à prendre et à mettre en forme des données statistiques et de proposer à l’utilisateur un objectif.

Florent Maurin prend le cas de Budget-Hero, jeu publié par une société de radio aux Etats-Unis. Là l’utilisateur est amené à reprendre et à manipuler les bases de données du budget américain pour réaliser un objectif qui s’est fixé en début de partie (environnement, baisse de la dette publique, influence du pays dans le monde, etc.). Cela lui permet de faire des projections (déficit ou rentabilité en 2050 par exemple), de mesurer ses propres choix par rapport aux véritables chiffres du budget général américain, d’avoir une visualisation graphique des différents postes, de rendre beaucoup plus compréhensibles des chiffres qui semblent au départ difficiles à appréhender pour la plupart des gens. La mécanique du jeu pousse le joueur à explorer véritablement le système.

Dans la plupart des newsgames, il ne s’agit pas d’instaurer une histoire mais de créer un système cohérent, qu’il soit manipulable par l’utilisateur, de voir ce qui se passe quand on change un paramètre, de comprendre les choses en tant que système global. Il s’agit de ne pas tisser une situation globale autour d’un exemple comme le journalisme fait souvent. Au contraire il s’agit pour l’utilisateur d’explorer le système pour le comprendre en profondeur.

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En deuxième lieu, il existe une deuxième catégorie de jeux : le jeu-reportage. Il s’agit de laisser au joueur l’occasion d’explorer une situation, de rassembler un max d’informations autour d’un événement comme le séisme en Haïti. Inside Haiti Disaster propose d’exploser la situation du point de vue d’un travail humanitaire, d’un journaliste ou d’une victime du séisme. A partir de là, on est face à tout un système de choix différents et la nécessité de prendre des décisions. En fonction de ces dernières, on va avoir plusieurs conséquences comme le risque de conflit à la suite d’une distribution sauvage de matériels de survie (décision proposée si on se met dans la peau du travailleur humanitaire). Cependant, comme l’indique F. Martin, il faut interroger la limite entre réalité et fiction. Ce n’est pas parce que cela s’est mal passé une fois que cela va forcément se passer systématiquement comme cela. Le jeu peut être un bon moyen pour impliquer l’utilisateur, le citoyen qui souhaite s’informer pour qu’il comprenne ce qui peut arriver et, notamment, face aux choix de certaines décisions.

On peut établir un troisième type de jeu : le jeu-éditorial. Il s’agit de parler de situations éditoriales en construisant des simulations (non réalistes car cela nécessite un budget trop important). Cela consiste à modéliser des situations très particulières et de les faire comprendre au joueur éditorialement par l’intermédiaire du jeu comme « Primaires à gauche ». Là, les stratégies des candidats peuvent être modélisées sous une forme éditoriale. Le joueur se met dans la peau d’un candidat, voit différents schémas de décisions qui s’offrent à lui et également en fonction de ses convictions politiques. Cela lui permet de mesurer l’impact de certaines stratégies qui peuvent être payantes ou non.

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Cependant feu Alain Joannès soulignait le risque de propagande, sous couvert d’amusement, véhiculé par le jeu.
Effectivement Olivier Mauco confirme que tout jeu est porteur de messages, d’un point de vue dans la mesure où le travail de production reflète un point de vue particulier. Par exemple le jeu « Primaires à gauche » reflète la vision d’une partie des journalistes de la primaire. Un jeu éditorial peut être considéré comme « partisan » dans la mesure où on modifie une certaine variable pour donner plus de poids à un candidat dans le jeu et vice-versa.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter cette présentation slideshare par Olivier Mauco sur la genèse et les enjeux liés à l’utilisation des newsgames :

http://fr.slideshare.net/OlivierMauco/le-newsgame-gense-dun-dispositif-vido-ludique-de-mise-en-scne-de-linformation

@NicolasBusquet1

Les jeux vidéos peuvent-ils servir d’outils à la communication politique ?

Dans notre article précédent, nous avons noté que la conception et l’utilisation ultérieure d’un serious game font l’objet d’un travail de mutualisation nécessitant plusieurs niveaux d’accompagnements. Ces derniers ont pour objectif de conserver une certaine cohérence dans la mise en œuvre d’un jeu sérieux. Il existe différentes variantes  de jeux sérieux. Nous en avons défini quelques unes  dans nos articles précédents.  Néanmoins on peut noter également le développement de jeux vidéos dits « engagés » : les politicals games. Ces derniers ont fait l’objet d’une récente émission à France Culture . Les political  games  constituent une catégorie à part des jeux sérieux. Ces jeux vidéos spécifiques peuvent servir d’outils à la communication politique.

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Tous les jeux politiques que l’on retrouve sur Internet ne se valent pas. Des agences web créent des applications où la politique n’est finalement qu’un prétexte. Il s’agit souvent de parodie ou de mise en scène irrévérencieuse (genre Street Fighter par exemple) des chefs d’État qui, pour le coup, sont très populaires.  À l’inverse, le vrai jeu politique peut être un bon medium pour véhiculer des idées d’après  l’analyse d’Olivier Mauco. Effectivement le jeu est basé sur l’action et donc il crée de l’expérience. C’est un outil de communication actif où le joueur apprend par lui-même. La première catégorie de jeu politique est celle à visée informative. L’association Voxe.org est à l’origine d’un premier outil comparateur en ligne de programmes électoraux. Ceci a pour objectif de fournir une information claire et neutre, apportant des précisions factuelles sur un thème donné.  En mars 2012, cette association a organisé un hackathon , un marathon de développeurs autour de cet outil comparateur. Plusieurs projets d’application se sont cristallisés autour de jeux tels que le projet Tamago.li où le joueur pouvait incarner tour à tour le candidat Hollande  et le candidat Sarkosy lors des élections présidentielles. Il choisissait une proposition et, lors de sa mise en œuvre, il gagnait des points (des votes) ou il perdait de l’argent. Actuellement cette association est en train de réaliser un futur serious game pour les élections européennes de 2014. Il s’agit pour les jeunes de 17-20 ans de pouvoir, en classe ou bien chez eux, découvrir les propositions des listes européennes mais également de connaître les enjeux de l’Europe, de l’Union Européenne et de se positionner en fonction de ces enjeux.

Le jeu vidéo est un algorithme mettant en scène une procédure, une mécanique. Tout l’enjeu pour un personnage c’est de découvrir, maîtriser cette mécanique. Le jeu est le meilleur moyen de faire comprendre à des  systèmes macros qui dépassent l’individu. Par exemple aux États-Unis, un jeu permet de comprendre l’impact du découpage électoral sur le résultat du scrutin. De même, en France, Cyberbudget.fr est un jeu de simulation en ligne du budget de l’État. Ces jeux politiques pédagogiques sont proches du Newsgame soit des jeux vidéos utilisés par certains journalistes pour informer comme Le Monde.fr avec le jeu « Primaires à gauche » . De même plusieurs ONG utilisent cet outil de communication pour sensibiliser un public à leur cause. L’ONU a créé un jeu  » Halte aux catastrophes  » en prévention d’éventuels tsunamis ou séismes.

La deuxième famille de jeux politiques est celle des jeux militants ou de propagande. Là, l’expérience ludique sert un objectif de persuasion. les premiers political games sont apparus au cours des années 1990 à l’initiative de groupes néonazis qui mettaient en scène des camps de concentration. C’est l’une des raisons qui ont poussé les éditeurs de jeux vidéos à ne pas promouvoir des discours partisans. Récemment les jihadistes ont mis en ligne un jeu invitant à repousser l’invasion française dans le Mali musulman. La persuasion du jeu vidéo est souvent fondée sur  la rhétorique de l’échec. C’est-à-dire le joueur ne peut que perdre face à un système toujours plus fort. En tant qu’exemple notable, le jeu « September 12th » de Gonzalo Frasca est cité. Ce jeu critique la guerre contre le terrorisme et met en lumière le mythe impossible de la « frappe chirurgicale ». Le joueur visite un village et à chaque frappe, les terroristes se multiplient, ce qui rend  impossible la possibilité de gagner.

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Aucun fait d’actualité n’échappe à ces jeux porteurs de messages.  « Endgame : Syria » simule les choix à prendre pour sortir du conflit syrien par exemple. Certains éditeurs indépendants se sont spécialisés dans l’activisme ludique comme « Persuasive Game » ou « Moleindustria » (très radical dans la critique sociale).  Le jeu persuasif permet d’intégrer des liens de causalité et fait réfléchir le joueur sur les conséquences de ses actes. Néanmoins  les partis politiques ont peu recours au jeu politique militant malgré son potentiel de frappe. On note par conséquent que le jeu vidéo reste un medium illégitime. le développement des tablettes ou des smartphones rend le jeu moins confidentiel (il n’est plus très utile d’avoir un code secret si on joue dans des lieux publics comme le tramway). De plus le jeu vidéo, s’il n’est pas explicitement politique, peut être porteur d’idéologies, de rapports au pouvoir.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter : « Les political video games : entre discours militant et outil de communication politique », d’Olivier Mauco.

@NicolasBusquet1

 

 

Quels accompagnements peut-on associer au serious game ?

Dans notre article précédent, nous avons vu qu’ un serious game est la mise en relation d’un jeu (vidéo) associé à une fonction utilitaire. Cette dernière s’écarte du seul marché de divertissement et peut être déclinée en trois catégories : la diffusion de messages (marketing, éducatif,  informatif, subjectif), la mise en place d’un entraînement ou la collecte de données.
Cependant aborder l’objectif utilitaire d’un serious game est une affaire complexe et nécessite plusieurs niveaux d’accompagnement. Ces derniers sont abordés par Julian Alvarez lors de la conférence en pédagogie TICE 2012 dont vous pouvez voir l’intégralité dans la vidéo ci-dessous.

Concevoir l’objet serious game mobilise plusieurs intelligences et des compétences collectives : la gameplay (réalisation, programmation), le game designer (scénario, niveaux de jeu),  les  experts (connaissances à faire passer) et les ingénieurs pédagogiques multimédia (jonction entre les différents acteurs). À cela s’ajoute une batterie de tests visant à améliorer pour chaque itération  la pertinence de l’objet  sur le plan ergonomique ou sur la réception des messages.
Il s’agit également de prendre en compte le contexte de diffusion et d’utilisation de l’objet dans les écosytèmes auxquels il se destine. Par exemple : il est difficile d’intégrer un jeu sur le problème de la pédophilie au Vatican dans des écoles catholiques.
Un serious game nécessite des accompagnements spécifiques. Dans l’enseignement universitaire, un chercheur nommé Franziska Zellweger Moser en distingue cinq.
Une analyse continue des besoins des usagers, des services testés et adaptables reflétant les compétences énoncées par le personnel de support, une concertation, des projets collaboratifs et des activités d’évaluation sont recommandés. Cette liste concerne les usagers (les apprenants) et les commanditaires ou les prescripteurs (les enseignants, les équipes pédagogiques). Cette liste peut être complétée selon Julian Alvarez.

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Il cite par exemple une étude faite sur Technocity et les problèmes soulevés quant à son accompagnement a posteriori. Julian Alvarez note un manque d’ accompagnement dans la conception du serious game.
Selon lui, on ne cloisonne pas la partie ludique de l’utilitaire. C’est maladroit dans le sens où si l’étudiant identifie ces parties utilitaires, il va passer outre et il ne va pas prendre une posture d’apprenant. Parmi les manques recensés, Julian Alavarez note également un problème d’accompagnement à l’utilisation (les élèves se débrouillant par eux-mêmes et les Sixièmes utilisent davantage le jeu que les Quatrièmes initialement visés). De même il soulève un problème d’accompagnement à la diffusion (le professeur-documentaliste ne sachant pas comment fonctionne le jeu ou les enseignants visés ne sachant pas qu’il avaient le jeu à leur disposition).
Ces accompagnements constituent trois grandes familles que l’on retrouve dans la plupart des serious games.

    Chacune de ces grandes familles peut-être subdivisée en plusieurs catégories. Par exemple la première famille associée à la réalisation du serious game comprend huit items : un accompagnement à la culture vidéo-ludique et artistique (culture du jeu, codes), un accompagnement à la gestion de projets (optimiser le processus de réalisation de son utilisation à sa diffusion, optimiser l’intelligence collective), un accompagnement à la conception, un accompagnement juridique (droits d’auteur, règles), financier et administratif,  un accompagnement aux tests, pédagogique (les approches peuvent être différentes selon le type d’apprenant et la matière) et un accompagnement à la recherche-développement.
Dans ce dernier cas, on peut citer la création d’objets hybrides, mélangeant le tangible et le virtuel,  tels que  les tablettes ou  Le livre qui voulait être un jeu vidéo d’Etienne Mineur.
Dans un autre registre, les utilisateurs du jeu sérieux ne sont pas tous égaux et certains  vont développer une compétence plus aiguisée (skillplay) voire préférer certains types de jeu (action ou réflexion) que d’autres.  Par conséquent une médiation est nécessaire pour compenser cette hétérogénéité au niveau de l’appréhension du  jeu.
De plus un accompagnement à la lecture et à l’interprétation du serious game est recommandé. Certains jeux peuvent être instrumentalisés, induire des messages biaisés ou cachés comme « Énergie Vive » qui promeut de façon déguisée l’utilisation du pétrole en dépit des énergies renouvelables selon Julian Alvarez. Un apprentissage est de ce fait nécessaire pour développer l’esprit critique.

Pour faciliter la diffusion d’un serious game, un  accompagnement général au changement est également recommandé (l’ensemble du personnel d’un établissement scolaire peut être concerné par exemple). Il s’agit de freiner les a priori négatifs quant à l’utilisation de ces jeux et que ces derniers puissent être intégrés de façon cohérente avec l’ensemble du système.
En outre, un accompagnement marketing doit être opéré. Il s’agit, dès le début du projet, d’élaborer des stratégies de communication afin d’atteindre un public ciblé (les parents d’élèves ou les établissements par exemple). Ceci n’a pas bien fonctionné dans le cas de Technocity où seul le nom du producteur, l’Académie de  Toulouse, était cité.
De plus  des modèles économiques doivent être proposés pour assurer la rentabilité des serious games (coûtant parfois très chers) et leur diffusion. De même, pour déployer un serious game, un accompagnement politique voire stratégique est mis en œuvre.
Enfin un retour d’expériences est nécessaire pour étudier l’impact d’un serious game, pour éviter les écueils et optimiser le développement du jeu.

    Les cinq accompagnements de Moser sont inclus dans ces quinze items.
Ces accompagnements recensés ne sont pas inédits et convoquent des approches déjà existantes pour la réalisation d’autres objets numériques (systèmes experts, simulations, site internet, jeux vidéo…).
Cette liste n’est pas exhaustive et ouvre de nouvelles perspectives. Ces indicateurs pourraient évaluer le gain en efficacité éducative que ce soit à destination d’apprenants de patients que du grand public.
Dans la mise en œuvre d’un serious game, il faut toujours chercher la cohérence. Selon Julian Alvarez, une rupture entre les infographies utilisées et la mécanique de jeu par rapport aux orientations pédagogiques, au contexte visé ou le public ciblé peut être un exemple de contre-indication. La rupture peut s’opérer à différents niveaux dans le rythme du jeu ou au niveau de l’immersion (le Flow). C’est l’état où l’étudiant se concentre sur sa tâche mais doit, au bout d’un moment, prendre du recul pour aboutir à la compréhension (soit prendre une position d’apprenant).
Par ailleurs, l’accompagnement au changement est à mettre en relation avec la représentation qu’on se fait du jeu vidéo. C’est un frein à soulever. Dans un cadre idéal, Julian Alvarez propose une pédagogie active (soit une formation des enseignants en petits groupes), une utilisation de ces différents jeux puis un retour oral sur les apports ressentis (les messages ou les fonctions utilitaires). L’objectif final consiste à susciter une envie, une possible mise en œuvre du jeu en classe.
Des personnes, ayant déjà une culture vidéo-ludique, peuvent être sollicitées pour sensibiliser d’autres à dépasser le simple cadre du divertissement et à utiliser le jeu dans un contexte d’enseignement.

 
@NicolasBusquet1

Peut-on enseigner avec le jeu ?

Dans notre premier article, nous avons établi un premier aperçu des serious games et avons noté que ces derniers pouvaient être utilisés en complément à la formation traditionnelle. Cette idée de l’enseignement par le jeu est véhiculée par des entreprises comme Itycom, la société productrice de ces jeux. Cependant la première véritable réflexion de l’éducation par le jeu vient de Julian Alvarez qui a publié une thèse en 2007 intituléeDu jeu vidéo au serious game. Nous avons abordé quelques aspects de cette thèse dans l’un de nos articles précédents. Il s’agit ici de réfléchir sur la finalité pédagogique de ces jeux. Pour cela, nous nous appuyons sur ce dossier, paru dans le café pédagogique à la suite de la publication  de la thèse de Julian Alvarez. Ce dossier est une compilation d’entretiens avec plusieurs spécialistes, dont Julian Alvarez, interrogés sur le thème de l’enseignement avec le jeu.

      Effectivement, après lecture du dossier, nous retenons que l’on peut enseigner par le jeu à condition d’avoir un  véritable scénario pédagogique. Comme tout support pédagogique, les serious games ne constituent qu’un outil. Ils ne constituent donc pas, à eux seuls, une solution miracle. À partir du moment où ils sont utilisés dans un contexte où les objectifs et le public sont bien ciblés, ils peuvent être à même de renforcer la motivation et l’apprentissage des participants.

      Les serious games que l’on peut traduire littéralement par « jeux sérieux » en français ne se destinent pas uniquement à l’enseignement et peuvent être appliqués à tous les domaines qui s’écartent du seul divertissement. Julian Alvarez, avec la collaboration de Damien Djaouti, tente de classer les jeux sérieux en trois catégories. Il distingue les serious games à message : ces serious games ont pour vocation de délivrer un message à l’utilisateur.  On comprend dans cette catégorie les edugames (jeux liés à l’éducation) ou les advergames (liés à la publicité).  Pour plus de détails, vous pouvez vous référer à cet article. Julian Alvarez distingue également  les  serious games d’entraînement. Ces serious games se destinent à permettre aux utilisateurs d’affiner leur savoir faire sur un plan psychomoteur ou purement cognitif. On recense ici les applications liées aux secteurs de la santé ou à la conduite de train. Enfin M. Alvarez parle de serious games de simulation que l’on peut aussi appeler serious play : cette dernière catégorie recense les serious games dont la base vidéo ludique est dénuée d’objectif final visant à évaluer les utilisateurs. Les serious play peuvent donc servir aussi bien à entraîner qu’à véhiculer des messages à l’instar du serious play Phun.

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Si pour certains, le jeu peut représenter un évitement à l’effort, la réalité est toute autre. C’est en tout cas l’opinion de chercheurs tel que Gonzalo Frasca, évoqué dans l’entretien. Selon lui, un bon jeu doit contraindre l’utilisateur. Pédagogie et jeu obligent l’apprenant à fournir un effort pour atteindre les objectifs visés. Par ailleurs,  M. Alvarez cite Raph Koster. Ce dernier, dans son ouvrage Theory of Fun , défend l’idée que le cerveau humain prend plaisir à jouer tant qu’il peut identifier de nouveaux mécanismes de jeu pour gagner.

      D’après la thèse de M. Alvarez, introduire une dimension interactive nécessite une pédagogie active. Cette approche consiste à impliquer les apprenants dans des projets concrets pour leur enseigner différentes matières et cela suppose que l’enseignant accepte de se mettre en retrait pour devenir un guide (c’est lui qui instaure les débats, remet en question les apprenants). Ce dispositif pédagogique rendre dans le cadre de la zone proximale de développement de Vygotsky. Le professeur doit dans ce contexte observer les groupes pour les recadrer le cas échéant, mais surtout faire en sorte de favoriser l’entraide entre apprenants et l’esprit d’initiative. L’utilisation du serious game s’intègre à cette démarche. En effet selon M. Alvarez, le jeu peut servir de support à l’apprentissage, mais à condition de mobiliser chez l’apprenant différentes compétences, tels le savoir-faire, le vouloir-faire ou le pouvoir-faire. Cependant cela ne signifie pas que le jeu est en lui-même source d’apprentissage. De plus l’expérience, qu’en retire un utilisateur d’un serious game, n’est pas forcément explicite. On ne sait pas ce que l’apprenant apprendra.

Par ailleurs, au sujet de la motivation, le cognitiviste  Idriss Aberkane  nous explique que les jeux vidéos, par leur fonctionnement, stimulent la capacité de l’utilisateur à faire et à tester des hypothèses. En outre les jeux vidéos incitent l’utilisateur à mener de nombreuses tâches en parallèle et,  par conséquent, mobilisent la modularité d’esprit. L‘intuition, porteuse de plaisir, et la mémoire à long terme sont également sollicitées par le jeu. M. Aberkane note que la mémoire épisodique est rarement mise en avant dans l’enseignement (ce qui n’est pas le cas du jeu vidéo). Il suggère l’utilisation de cartes mentales pour ou de mettre en situation les élèves pour qu’ils organisent leurs connaissances dans les espaces et puissent exprimer rapidement des solutions. Enfin  M. Aberkane insiste sur le fait que le jeu vidéo repose sur l’action, objectif de notre cerveau.

      Cependant le jeu vidéo ne rend pas « plus intelligent ». C’est en tout cas le propos du sociologue Laurent Tremel s’opposant à cette thèse actuellement en vogue. Pour lui, les sujets que les apprenants étudient sont le produit d’une histoire sociale et culturelle.

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Age of Empires I : Rise of Rome

      Laurent Tremel ajoute que les jeux vidéos sont en premier lieu des produits marchands, conçus et diffusés par des firmes multinationales, qui distillent via leurs scénarii une idéologie qui est loin d’être neutre à l’instar des « jeux de société ». En outre il indique qu’actuellement on a tendance à confondre les serious games avec les serious gaming soit des jeux vidéos commerciaux qui ont été détournés de leur but d’origine tels que Sim City ou Age of Empires. Néanmoins M. Tremel est d’accord avec Julian Alvarez et le cognitiviste  Idriss Aberkane, sur le fait que le jeu peut être un facteur de motivation, une aide à l’apprentissage à condition de préparer  en amont une véritable séquence pédagogique.

@NicolasBusquet1

Serious games ou serious gaming ?

Comme nous l’avons indiqué dans notre précédent article, les serious games sont un phénomène assez récent, existant depuis quatre ou cinq ans en Europe. De nombreuses études ont été faites. La première étude a été réalisée par Julian Alvarez et Damien Djaouti, cités par Yasmine Kasbi lors de son intervention au cours de la journée thématique sur les serious games dans les bibliohèques (dont vous pouvez voir l’intégralité dans cette vidéo).

Yasmine Kasbi est formatrice multimédia et auteur du blog SeriousGames.be et d’un ouvrage paru en mars 2012 : Les serious games : une révolution. Ce livre s’adresse aux personnes utilisatrices de ces jeux comme les entreprises et les enseignants ainsi qu’aux futurs professionnels s’intéressant à ce domaine.

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Pour bâtir leur étude, ces chercheurs ont utilisé le principe du G/P/S/ se divisant en trois critères: « Gameplay » (la jouabilité),  « Permet de » (l’objectif du serious game) , « Secteur » (le public visé).
Le serious game vise tous les domaines  (entreprise, bibliothèque, école, religion, …) et  tous les publics pour tout âge.
Un jeu sérieux peut être éducatif ( dans le cadre d’une école ou des entreprises ou du marketing) ou caricatif .
En ce qui concerne la gameplay, ces chercheurs font la distinction nette entre les serious games (jeux créés à but vraiment sérieux) et les serious gaming (jeux vidéos à but purement ludique, qui se sont détournés de leur but d’origine).
Sim City par exemple peut être considéré comme un  serious gaming car au départ le jeu visait le marché du divertissement puis est devenu un support utilisé par certains enseignants pour illustrer un cours. Ceci constitue un détournement de leur usage initial.
Dans la vidéo, Yasmine Kasbi donne plusieurs exemples d’application de ces jeux vidéos détournés et notamment dans le domaine de la santé.
Le jeu vidéo peut être utilisé comme révélateur de certains types de comportements et aider, par exemple, le psychiatre à les analyser voire aider la personne souffrante. Cependant comme l’indique Yasmine Kasbi, un serious game n’a pas la prétention de remplacer quoi que ce soit ni de tout corriger.

Elle cite également Jane McGonigal qui a créé dans son entreprise toute une panoplie de jeux pour améliorer la mentalité des gens (que faire s’il n’y a plus de pétrole ?). Par le biais du jeu, on peut faire quelque chose de concret (c’est un autre exemple d’usage détourné).

Par ailleurs, Yasmine Kasbi passe rapidement en revue les différents types de serious games. Elle distingue d’un côté les advergames soit tous les jeux qui ont vocation de publier un message, d’interpeller l’utilisateur voire le choquer. On peut  ranger dans cette catégorie  les antiwargames  : « la violence engendre la violence » (si on tue des terroristes, nos familles en souffriront et vice -versa), personne ne gagne ni ne perd.

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Une scène du jeu : September 12th
On y trouve également les jeux écologiques (cloud games), les edumarketing (profils des gens), les buisness games (apprentissage du commerce dans le cadre des PED notamment), les jeux dans le domaine de la santé,  les jeux engagés (jeux pour faire sa propre campagne politique ou être dans la peau d’un réfugié politique), etc.
D’un autre côté Yasmine Kasbi met l’accent sur les jeux liés au domaine de l’éducation comme les Edugames et les Learning games. Elle donne à titre d’indication le site Pegi.info : site de référence pour savoir si le jeu est approprié ou non selon le public visé.
Nous conclurons avec cette phrase de Julian Alvarez. Selon lui, un serious game « doit nécessiter la présence d’un scénario pédagogique », censé apporter des informations plus ou moins utiles à l’utilisateur. L’advergame en revanche se contente de divertir le joueur, tout en faisant passer un message publicitaire.

@NicolasBusquet1

D’où viennent les jeux sérieux ?

Dans nos précédents articles, nous avons recueilli divers témoignages de professionnels venant du domaine de l’entreprise ou du monde des bibliothèques. Cependant une question n’a pas été développée : d’où viennent les jeux sérieux ? Quel est leur poids ?

Les jeux sérieux trouvent leur origine dans les années 1980 aux États-Unis mais sont introduits tardivement en Europe.  Ils  sont devenus peu à peu un outil à la mode. Une enquête disponible sur le site Educpros établit un constat sur la situation actuelle des jeux sérieux. Leur poids sur le marché mondial aujourd’hui et leur développement en France sont explicités.

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Image extraite du blog SeriousGames.be

Il est indiqué que ces jeux représentaient en 2011 un marché de plus de 2 milliards d’euros à travers le monde. Du côté de la France, l’activité du secteur est estimée à 47 mil­lions d’euros.
L’aspect formation est un élément prédominant parmi les thèmes couverts par les serious games. Effectivement, sous l’impulsion notable de l’armée et des universités scientifiques, des jeux ont été créés durant les années 1980 pour sensibiliser les jeunes sur des sujets divers et leur apprendre à adopter certains types de comportements (appelés soft kills).

En France, l’intérêt pour la question des jeux sérieux date d’une dizaine d’années et concerne d’abord les entreprises. Du côté de l’enseignement supérieur en revanche, selon l’enquête, la prise en compte de la problématique est beaucoup plus récente. La  plupart des établissements réfléchissent progressivement sur la question des jeux sérieux depuis quatre ans. Actuellement « les projets, mêlant entreprises et écoles ou universités font encore figure d’exception. Les démarches se construisent davantage en parallèle mais ­visent toutes à améliorer l’insertion professionnelle des jeunes. »

@NicolasBusquet1

Les serious games en bibliothèque

Dans notre article précédent, nous avons noté que les jeux sérieux peuvent être considérés comme des compléments utiles à la formation traditionnelle et touchant progressivement une plus grande diversité de domaines. À ce propos, les serious games sont peu à peu intégrés au sein du monde des bibliothèques.
Effectivement, comme nous l’indique le site Éduscol, une journée thématique a été organisée à l’ENSSIB par un groupe d’élèves conservateurs sur le thème des jeux sérieux en bibliothèque en octobre 2012. « L’objet de cette journée a porté sur la définition de la notion de serious game puis sur sa spécificité par rapport aux autres produits numériques que peuvent promouvoir les bibliothèques (jeux vidéo, réseaux sociaux…). Il s’agit donc de sensibiliser les bibliothécaires, mais aussi les professionnels de la documentation, à la pratique et aux enjeux des serious games, autour des questions suivantes : comment les choisir ? Quels sont leurs avantages et leurs limites ? Comment monter un projet ? Quelles sont les médiations possibles ? » .
L’ensemble des communications est disponible sur le site de l’ENSSIB.

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Une interview de Thierry Robert, un des intervenants de cette journée, est également disponible sur le site de Savoirscdi.
Selon ce dernier, dans le fonds, le jeu peut être une porte d’entrée culturelle qui permet de mettre en relief l’ensemble des autres documents de la bibliothèque : livres, mangas, BD, etc.
Un jeu sérieux est un jeu qui n’a pas comme principal objectif le divertissement ou la récréation. Les jeux sérieux regroupent de façon très large des jeux pour la formation, des jeux pour l’éducation, des jeux pour la sensibilisation, etc.

Les jeux sérieux ne sont pas uniquement basés sur le concept des jeux vidéos, comme certains jeux de société qui font que les jeux sérieux s’intègrent plus aisément dans une bibliothèque.
Il n’y a pas de demande du public de jeux sérieux (ce type de document est très méconnu). Le jeu sérieux est plus demandé par les employés qui veulent donner un aspect éducatif aux jeux en bibliothèque.

Thierry Robert distingue également différents types de médiations autour des jeux sérieux.
Pour lui, la plus grande médiation vient avec la création d’une collection de jeux sérieux à l’intérieur d’un site web et leur mise en valeur par le biais des réseaux sociaux. Thierry Robert parle, dans ce cas, de médiation virtuelle soit le fait d’aller à l’usager par le biais du web.
Dans le cadre de la médiation humaine, Thierry Robert évoque la possibilité de créer une équipe d’animateurs et d’animatrices pour compléter l’utilisation du jeu dans des classes d’un programme de développement des compétences informationnelles intitulé « Bibliothèques à la rescousse ».

Par ailleurs, monter un projet de jeu sérieux nécessite un budget important. Dans le cas de Thierry Robert, le montant total s’est élevé à 20 000 euros sur une période initialement prévue à huit mois.
Du point de vue de la méthode pour aider au développement de la recherche on peut utiliser le jeu comme un outil de recherche : « quand on veut réussir le jeu, il y a des obstacles à vaincre » selon Thierry Robert.
La résolution de problèmes dans le cas d’un jeu vidéo traditionnel peut être un point de départ pour enseigner la recherche d’informations.
Pour enseigner les compétences informationnelles, il existe très peu de jeux sérieux que ce soit aux États-Unis ou en France.
Cependant selon l’opinion de Thierry Robert, les documentalistes peuvent aider à changer la vision du jeu comme un apprentissage alternatif, comme une autre façon d’apprendre qui n’est pas automatiquement didactique. Le jeu sérieux peut apporter une plus-value qui est souvent moins bien perçue par les enseignants.
L’intégration des jeux serait selon lui une très bonne approche parce que les jeunes apprennent énormément par la pratique.

@NicolasBusquet1

Serious games : un outil pédagogique

Le jeu sérieux est un nouvel outil touchant de plus en plus de domaines et peut être utilisé dans le cadre de la pédagogie selon les divers témoignages recueillis lors du Serious Game Expo 2012 à Lyon.

D’après le site d’ITycom,  la chaîne internationale Euronews s’est intéressée aux « jeux sérieux » et au e-learning, devenus en quelques années de plus en plus nombreux et innovants. Nous retrouvons alors durant ce reportage Yann Teyssier, interviewé sur les solutions innovantes d’ITycom.

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Ce reportage est intéressant à regarder car il présente quelques exemples pratiques  et les grandes tendances de l’utilisation du serious games au sein du monde professionnel.
Effectivement les jeux sérieux sont de plus en plus présents dans le monde professionnel et sont considérés comme des jeux vidéos au service de la formation, de la communication, de la vente et du marketing.
Parmi les grandes tendances cités, on peut noter que les jeux sérieux sont de plus en plus utilisés pour mettre les salariés dans des situations qui leur étaient alors inconnues. En outre les  jeux sérieux sont peu à peu tournés vers le grand public. Ils peuvent également être employés dans le cadre d’ un objectif thérapeutique face à des addictions fortes ou déstresser des malades dans un hôpital.

L ‘intérêt du e-learning réside dans le fait qu’il agit comme un complément à la formation traditionnelle. On  utilise le jeu pour faire des simulations (on peut citer pour exemples la simulation d’entretien, le simulateur de conduite). L’apprentissage se fait par l’expérience, par les erreurs qu’on fait.

Dans la vidéo, une des personnes interviewées évoque par exemple un jeu qui envoie à l’utilisateur une image virtuelle pour apprendre ce qu’est un moteur : il est demandé à l’utilisateur quel est le bon tournevis pour démonter le moteur.
Un enseignant peut évaluer l’expérience de l’apprenant.
Pour les jeunes, un jeu de simulation est proposé pour leur montrer ce qui leur arrive quand ils boivent trop (ils s’intéressent beaucoup moins les filles).

@NicolasBusquet1